
Voilà une bonne idée. Quartz a interrogé 10 PDG et autres cadres exécutifs supérieurs sur leurs techniques d’entretien, et leur a notamment demandé de dévoiler LA question « tueuse » qu’ils aimaient poser à leurs candidats. Il est intéressant de constater que celles-ci sont le plus souvent destinées à creuser la partie personnalité. Cela ne veut évidemment pas dire que la partie technique n’intéresse pas les PDG, mais plus certainement qu’elle a déjà été traité en amont ou qu’elle ne nécessite pas d’utiliser une question « tueuse » pour être étudiée. Dans tous les cas si l’on s’en tient aux résultats de cette étude il semble impossible de pouvoir se présenter sereinement à un tel entretien tant son déroulement peut être inattendu…
« Voulez-vous être respecté ou craint ? »
Michael Gregoire, PDG de CA Technologies, une société de logiciels de gestion informatique, admet que sa question d’entretien préférée est un peu machiavélique. Elle ne manque jamais de prendre les gens au dépourvu, et « révèle vraiment ce qu’ils pensent de leur style de management », dit-il. En théorie il n’y a pas de bonne réponse, mais dans la pratique le poste pour lequel ils sont interrogés détermine souvent le côté vers lequel sa décision va pencher. Dans un environnement collaboratif il préférera un profil plus respecté que craint, dans une unité d’affaires en difficulté le bâton sera peut être plus utile que la carotte.
L’avis de Peoplexpert : Cette question peut en effet être utile pour se faire une rapide idée des motivations personnelles et du tempérament du candidat reçu, mais il ne faut pas perdre de vue qu’elle reste très centrée sur une seule particularité, donc forcément restrictive. Il faut également prendre en compte le fait que la réponse obtenue ne sera pas forcément utilisable pour jauger de l’adéquation du profil reçu avec le poste à pourvoir, sauf peut-être pour l’éliminer. Ce n’est pas parce que l’on rêve d’être respecté que l’on y parvient. Idem pour la crainte. Et puis quelqu’un qui affirme ouvertement qu’il a pour objectif d’être craint par ses équipes doit-il vraiment se voir proposer un poste de manager, quelque soit le contexte (même dans une unité en difficulté) ? La question est ouverte.
« Pourquoi êtes-vous ici aujourd’hui ? »
Quand il pose cette question dans ses entretiens, Gordon Wilson, PDG de Travelport, une société de logiciels cotée au Nasdaq au Royaume-Uni, recherche une réponse bien précise. «Je suis surpris de voir combien de fois les gens parlent d’abord du bénéfice que va leur apporter le travail avant d’aborder celui qu’ils vont apporter à l’entreprise», dit Wilson. Cela lui permet de juger si un candidat vient pour rejoindre une équipe ou pour son seul intérêt. Est-il à la recherche d’un partage égal entre les avantages obtenus par l’entreprise et ceux par le candidat ? «Au moins!», dit-il. « Je veux 75-25 : si vous apportez du bénéfice à l’entreprise, le votre viendra également. »
L’avis de Peoplexpert : Question particulièrement ouverte. Elle possède un inconvénient : elle est assez répandue et il y a de fortes chances pour qu’elle ait été préparée à l’avance, d’autant plus si le poste à pourvoir est particulièrement stratégique. Un autre souci peut se poser avec les exigences fortes de Mr Wilson : il souhaite un candidat sincèrement motivé à l’idée que 75% de son temps de travail ne soit consacré qu’au seul bénéfice de son entreprise. Pas facile à trouver ! Sauf exception, un profil de haut niveau, recherché et sollicité, n’acceptera un entretien que s’il y voit d’abord son intérêt. Celui qui dira le contraire à Mr Wilson fera peut-être bonne impression mais il faudra alors s’interroger sur les raisons qui le poussent à une telle concession.
« Quel est votre plus grand rêve dans la vie ? »
Zhang Xin est co-fondateur et PDG de SOHO China, un promoteur immobilier commercial. Quand elle pose aux candidats sa question principale ils devraient savoir, connaissant son background, qu’il n’y aura pas de réponses trop ambitieuses. Après tout la millionnaire « self made woman » a construit son empire à partir de zéro, en économisant l’argent gagné dans une usine de vêtement à Hong-Kong afin de s’offrir une formation en Angleterre qui lui a permis de démarrer ce qui deviendra rapidement le plus grand bureau de développement en Chine. Inutile de dire que quand Zhang affirme qu’elle est attirée par les électrons libres, elle le pense réellement.
L’avis de Peoplexpert : Encore une question ouverte qui laisse une grande marge de manœuvre au candidat et qui permet d’ouvrir la discussion sur des thèmes qu’il n’aurait surement pas abordés autrement. Elle se rapproche dans l’esprit de la fameuse question que certains décrivent comme la plus pertinente à poser en entretien et que l’on peut plus ou moins résumer ainsi : « quelle est votre plus grande réussite ? ». Ce qui est intéressant c’est qu’il n’y a pas véritablement de bonne réponse. Il est possible d’aborder la sphère personnelle ou professionnelle, des aspects spirituels ou matériels… Ce qui compte c’est de parvenir à faire résonner d’une façon ou d’une autre ses motivations avec celles du recruteur. C’est d’ailleurs là qu’apparaît le côté moins séduisant de l’épreuve : cela peut ressembler à une loterie.
« Je demande comment ils se sont comportés »
…pas aux candidats eux-mêmes, mais à ceux qui les auront croisés durant leur chemin vers leur entretien avec Rick Goings, le PDG du pionnier de la vente directe Tupperware. « Je parle au chauffeur qui les a amené à l’aéroport, à mon assistant, à la réceptionniste qui les a accueilli. Je leur demande comment ils se sont comportés avec eux. Là vous apprenez comment la personne agit réellement », dit Goings. Ce qu’il recherche ce sont des compétences relationnelles, dont les bons leaders ont besoin pour manager et inspirer les équipes. Dans ce but, il fera des entretiens classiques avec les candidats pour leur poser des questions, bien sûr, mais il pensera que des informations tout aussi pertinentes pourront venir d’autres sources qui auront connu les candidats au travers de leurs interactions quotidiennes avec eux.
L’avis de Peoplexpert : Cela semble effectivement être une idée simple et efficace pour tenter d’approcher la vraie nature des candidats. Beaucoup d’entres-nous la pratiquent d’ailleurs spontanément à moindre échelle par le biais d’un échange rapide avec un collègue proche ou le personnel d’accueil. Pour nous connaitre, quoi de plus pragmatique que d’étudier la façon dont nous nous comportons dans la vraie vie ? Certes il est toujours possible de tricher, surtout lorsque l’on est prévenu, mais sur une longue durée il devient difficile de chasser le naturel. Parmi toutes les méthodes de recrutement il est souvent dit que la plus efficace est celle de la mise en situation. Ici il ne s’agit ni plus ni moins que de cela, appliquée à la partie relationnelle.
« Quel est votre propriété préférée au Monopoly, et pourquoi ? »
Ken Moelis, le fondateur et PDG de Moelis & Co, une banque d’investissement, aime poser cette question inattendue aux nouveaux MBA, rencontrés pour des postes de cadres. « C’est un excellent moyen de savoir ce que les gens pensent des risques et des récompenses », dit-il.
L’avis de Peoplexpert : Sous un aspect ludique cette question est en réalité très technique. Elle s’éloigne par cet aspect là des précédentes. Même si Ken Moelis affirme que son but premier est de savoir ce que les candidats pensent des risques et des récompenses, il ne faut pas se tromper : une réponse basique sur ce sujet ne suffira certainement pas. Il est directeur d’une banque d’investissement… Ils devront donc tout autant le convaincre sur leurs capacités d’analyses, leurs connaissances des marchés immobilier et financier, et leurs facultés à mettre en place des stratégies à court ou long terme. Clairement pas simple. Encore moins si l’on n’a jamais joué au Monopoly.
« Parlez-moi de vos échecs »
Disséquer les échecs passés est une obsession pour les dirigeants qui se focalisent dessus pour y détecter une capacité de résistance, de créativité et d’humilité chez les candidats. Une personne qui peut parler ouvertement, honnêtement et avec précisions des difficultés rencontrées est attractive, mais uniquement si elle peut également expliquer comment elle est devenue « un meilleur individu, collaborateur, leader et manager, grâce aux leçons qu’elle en a tiré », dit Roger Crandall, PDG d’un groupe d’assurance américain MassMutual.
Une variation sur ce thème vient de Davide Serra, fondateur et PDG de Algebris, un hedge fund basé à Londres. Il adopte une approche personnelle similaire en demandant aux candidats :
« Quelle est la plus grosse erreur que vous avez commise et qu’en avez-vous appris ? »
Pour les entreprises de la finance, en particulier, le danger est partout. Les chefs d’entreprises recherchent donc des gestionnaires qui savent ne pas paniquer quand les choses vont mal et qui sont suffisamment ouverts pour savoir reconnaître que leur propre responsabilité peut être à la source du problème. Les réponses vagues dans lesquelles les candidats ne se dépeignent que comme les victimes innocentes des échecs des autres n’aident pas à construire la confiance.
L’avis de Peoplexpert : La gestion de l’échec est décidément un thème très à la mode, et c’est assez logique car il semble assez révélateur de ce que nous sommes. Il ne faudrait cependant pas qu’il le devienne trop… Les candidats pourraient finir par anticiper les questions et les préparer longuement à l’avance, ce qui n’aurait plus aucun intérêt. Nous avons publié un article sur le sujet il y a peu. Il est consultable sur notre blog.
« Qui vouliez-vous être quand vous aviez 7 ou 8 ans ? »
Barbara Byrne, vice présidente de la banque d’investissement Barclays, admet qu’elle n’est pas une spécialiste de l’entretien. Si un candidat en obtient un avec elle, elle part du principe qu’il est forcément intéressant. Pourra-t-il cependant passer le test de l’avion ? Autrement dit, « pourrait-elle s’asseoir à côté de lui durant un vol New-York – Los Angeles sans s’ennuyer terriblement ? ». Les rêves d’enfants sont un bon sujet pour démarrer une conversation sur un long courrier. Certaines personnes peuvent se livrer rapidement et vous pouvez ainsi vous connecter réellement avec elle.
L’avis de Peoplexpert : Voilà une approche originale. Et probablement très efficace pour connaitre la personne que l’on envisage de recruter. L’idée est bien sûr encore une fois de la sortir du cadre réglementé de l’entretien pour découvrir sa vraie nature. La désormais fameuse épreuve de l’avion de Madame Byrne, agrémentée de sa question « tueuse », n’est rien d’autre qu’une subtile synthèse de la quasi-totalité des questions précédentes (en exceptant peut-être celle du Monopoly). Pas facile pour un candidat de survivre à un tel voyage. Ils sont certes préparés à parler de leurs parcours et compétences, mais pas forcément à distraire un PDG. Ceci dit, tout aussi pertinente qu’elle puisse être, cette stratégie n’est pas à la portée de tout le monde, même lorsque l’on est un haut dirigeant. Elle nécessite tout de même de prendre l’avion avec chaque candidat potentiellement intéressant, ce qui implique un coût important en termes de temps et d’argent.
« Le test de la liste des vins »
C’est une histoire similaire pour Charles Phillips, PDG d’Infor, société de logiciels d’entreprise basée à New-York. « Tout le monde peut faire semblant pendant 45 minutes », dit-il. Au lieu d’effectuer des entretiens traditionnels dans l’entreprise pour les postes de direction, le PDG emmène le candidat dîner avec une poignée d’autres cadres dirigeants. « J’aime regarder la façon dont ils se comportent dans un environnement non structuré », dit-il. Un test clé vient rapidement dans le repas : « je leur donne la liste des vins. La personne doit convaincre le groupe qu’il connait beaucoup de choses sur le vin, ou prétendre que c’est le cas, ou juste prendre la bouteille la plus chère, ou demander de l’aide. La façon dont ils choisissent, et le succès qu’ils obtiennent en se justifiant est l’une des partie du test. Vous regardez également comment ils se comportent avec le serveur ». Un autre test vient à la fin : « nous les surprenons toujours en leur demandant de raconter une blague. Cela révèle si quelqu’un à le sens de l’humour, bien sûr, mais aussi s’il peut réfléchir sereinement dans une situation étrange et inconnue ».
L’avis de Peoplexpert : Cette 9ème question vient confirmer, s’il était encore besoin de le faire, que les PDG ne manquent pas d’imagination lorsqu’il s’agit de questionner un candidat. Cette fois encore nous sommes dans le thème de la mise en situation, et nous pouvons voir à quel point celui-ci regorge de possibilités. Aussi surprenante que son idée puisse paraître, il faut reconnaître à Monsieur Philips que le thème du vin possède de nombreux atouts pour tester les facultés d’adaptation d’un candidat : il en existe une large variété, il est très complexe d’en saisir toutes les subtilités, chaque individu autour de la table peut avoir des goûts différents de son voisin, et il est particulièrement difficile (voir impossible) de faire croire que l’on maîtrise le sujet si ce n’est pas le cas. Quand au test de la blague, il est délicat. D’une part il n’est pas simple de se souvenir d’une bonne blague dans un tel contexte, d’autre part il faut faire bien attention à sa sélection… Faire rire oui, mais sans perdre de vue qu’il faut rester dans un cadre professionnel.
« Faire passer de la parole aux actes »
En parlant de relaxation, les personnes très tendues ne s’en sortiront pas en face de Atul Kunwar, président et directeur technique de Tech Mahindra, un fournisseur de sous-traitance. Il n’a pas de question spéciale à poser en entretien, mais laisse les passions du candidat guider la conversation. Pour lui les centres d’intérêts et hobbies des candidats ne sont pas des sujets mineurs. Quand un demandeur d’emploi a mentionné qu’il était un chanteur passionné « je lui ai dit de chanter pour nous, un groupe de très hauts dirigeants », se souvent Kunwar. « Il a eu le courage de le faire et il a très bien chanté. Il n’a pas eu de complexe. Pour moi cela signifiait qu’il était passionné et capable de se construire des compétences lui-même. Nous avons besoin de gens avec ce genre de croyances et de passions. »
L’avis de Peoplexpert : Encore une mise en situation, même si celle-ci est un peu discutable. Bien que les questions précédentes soient largement déstabilisantes, il est probable qu’elles restent globalement acceptables par une majorité de candidats. Ici il y a un risque fort pour que ce ne soit pas le cas. Certes il est impératif de convaincre lors d’un entretien, mais pas à tout prix. Tout le monde a ses limites. Demander à un haut dirigeant de se montrer ainsi en spectacle peut le faire fuir très rapidement. Et puis est-ce parce que l’on refuse de chanter devant une équipe dirigeante que l’on n’est pas compétent ? S’il semble effectivement possible qu’une telle requête puisse parfois porter ses fruits, elle peut aussi s’avérer plus destructrice que constructive dans de nombreux autres cas.
Tiré de l’article original de Jason Karaian : « We got 10 CEOs to tell us their one killer interview question for new hires »